Biographie de Cheikha Rimitti
«C'est joyeux comme le Funk et profond comme le Blues… Creuset de tous les espoirs et de toutes les mélancolies, la musique RAÏ a de qui tenir son âme …» (Nourredine Gafaïti)
RIMITTI naît française, au début des années 20 dans la région oranaise, Algérie.Orpheline très tôt, elle mène une vie difficile et bientôt dissolue, traînant de quartiers en quartiers, dormant dans les hammams et frôlant parfois l’illégalité. A l’âge de 20 ans, elle se lie à une troupe de musiciens Hamdachis, avec qui elle partagera une vie de troubadour, chantant de cabaret en cabaret et dansant souvent jusqu’à l’épuisement. A cette époque, de terribles épidémies s’abattent sur le pays (Albert Camus l’a relaté dans son roman « La peste » ayant pour cadre Oran), et viennent accentuer le sordide déjà pesant du quotidien.Rimitti s’inspirera de ce spectacle de désolation pour improviser ses premiers vers et son répertoire sera en grande partie une évocation de ce vécu. "C’est le malheur qui m’a instruit, les chansons me trottent dans la tête et je les retiens de mémoire, pas besoin de papier ni de stylo »De cette époque, elle préférera néanmoins conserver les souvenirs de fêtes « …je participais aux fêtes en l’honneur des Saints, entre Relizane, Oran et Alger…Les festivités duraient une semaine et les gens venaient de toute l’Algérie. On invitait les plus grandes chanteuses, comme Oum Keltoum ou Cheikha Fadela La Grande… Moi en plus de chanter, je montais à cheval lors de la fantasia, avec un fusil dans chaque main et je tirais. Il y avait les gendarmes qui applaudissaient, le préfet qui me félicitait… »
Son premier enregistrement date de 1952 quand Pathé Marconi sort un 78 tours comportant le fameux« Er-Raï Er- Raï », mais c’est en 1954 que Rimitti s’impose comme la référence absolue avec son titre« Charrak Gattà », où ses contemporains y voient une attaque en règle contre le tabou de la virginité (« Il me broie, me bleuit // il m’attise…. il m’abreuve, je dis je pars et je passe la nuit // malheur à moi qui ai pris de mauvaises habitudes…).
Il faut rappeler que Rimitti a chanté dès les années 40, la difficulté d’être une femme et a introduit la notion de plaisir charnel. Mais son champ thématique ne s’arrête pas là. Elle a exploré toutes les formes de l’amour, célébré l’amitié, tenté d’expliquer les noyades dans l’alcool, déploré l’obligation d’émigrer et tancé les moralistes. Elle qui avait osé chanter une ode à l’Emir Abdelkader dans les cafés juifs, en pleine guerre de libération, va subir dès l’indépendance les foudres de la censure FLN.Sa poésie lui vaut dans les années 60 « l’excommunication nationale »… réponse démesurée et cynique d’un nouveau régime dit de « libération nationale » pourtant empreint de traditionalisme religieux.
Elle a depuis composé plus de 200 chansons, constituant un véritable « répertoire réservoir » dans lequel se serviront allégrement ses successeurs (comme « La Camel », reprise et popularisée par C.Khaled…)Pour tous les musiciens de Raï, elle incarne une reine, « LA » grande dame vénérée par tous les chanteurs de la jeune génération qui voient en elle « la Mère du genre » (Rachid Taha lui dédie une chanson, « Rimitti »).Une véritable légende s'est ainsi tissée autour de cette femme qui hante l'imaginaire collectif du Maghreb depuis plus d'un demi-siècle. Rimitti, redécouverte depuis quelques années par une nouvelle génération, est une visionnaire. Ses chansons, martelées depuis un demi siècle n’ont jamais été aussi proches de la réalité sanglante de l’Algérie des années 90, décennie de tous les dangers (Pour les femmes surtout dont Rimitti fut la porte parole la plus audacieuse et la plus lucide)
« Entre temps, l'Occident a pu succomber à sa voix langoureuse, douce mais âpre, ajoutée à un art consommé de la danse.... » (R.Mezouane)Au gré de concerts prestigieux donnés dans les grandes capitales mondiales, Rimitti est devenue la principale ambassadrice du Raï (New York, Paris, Londres, Amsterdam, Stockholm, Genève, Madrid, Milan, Berlin, Le Caire…)Elle reçoit entre temps le Grand Prix du Disque 2000 de l’Académie Charles Cros.Mais c’est à un autre titre, et au seul en fait, que Rimitti s’accroche, celui de « Cheikha » (la doyenne) !Plus qu’un titre, le terme « Cheikha » est la marque indélébile de son parcours, emblème du large sillon creusée par sa vie de « Franco-Algérienne rebelle »
Rimitti ne veut pourtant pas vieillir… Le cœur et l'esprit toujours alertes, elle se veut sans cesse la représentante d’une certaine forme d’avant-garde. Avec l’introduction d’un « band » moderne (basse, batterie, claviers, cuivres) se juxtaposant aux musiciens traditionnels, (Bendir, tar, gasbâ et gallal) Rimitti laisse très tôt entrevoir une nouvelle voie, valable non seulement pour le Raï, mais aussi pour l’ensemble des musiques arabes.Refusant dès le début la voie du « raï variété » empruntée par la génération des « Chebs », elle privilégia plutôt la variété du style offert par le Raï. Ses collaborations avec Robert Fripp et Flea des Red Hot Chili Peppers sur l’album "Sidi Mansour" (1994) illustrent dans la forme un virage « électrique » pris à la fin des années 80.
Résolument progressiste, elle assure la transition d’un Raï reposant sur ses bases traditionnelles, indispensables à la mise en place de la « transe », à celle d’un Raï « enrichi et raffiné » aux rythmiques et sonorités plus modernes. Elle dessine les contours d’un Raï pouvant un jour être appréhendé comme un courant musical majeur. Un style mêlant les influences africaines des Gnawa et les harmonies arabo-andalouses de la musique Châabi aux paroles crues et souvent improvisés de cette Soul algérienne.
Aujourd’hui sort « N’Ta Goudami », un nouvel album, qui dans le prolongement de « Nouar » (2000) démontre une nouvelle fois la diversité de son art, indique la voix à suivre et impose une nouvelle fois Rimitti comme la diva du Raï.
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